Il ne faudrait pas croire que je suis triste, je suis très satisfaite du jardin cet automne. Il a pris un tournant, acquis enfin une certaine maturité. Les arbres plantés il y a une dizaine d'années commencent à montrer qui ils sont
et ce qu'ils vont devenir, les perspectives émergent, les massifs et les plate-bandes se placent d'eux-mêmes; Il me suffira de les aboutir ce printemps. Il manque quelques arbustes, quelques rosiers mais l'essentiel de la structure est en place. Je feuillette des livres sur les vivaces et leurs associations. Je trie les graines d'annuelles. le printemps 2014 est déjà dans ma tête.
Soyons sérieux, revenons à l'automne, j'en ai déjà quelques souvenirs et des promesses aussi pour les jours, les semaines qui nous viennent.
D'ailleurs à ce propos,je me lance enfin dans les remerciements.
Ce jardin je ne l'ai pas créé seule, il était déjà bien engagé quand je l'ai découvert et lors des premières années, j'y étais très entourée, sporadiquement ou de façon régulière. Ceux de ma famille et nombre de mes amis, y ont apporté leur contribution. Je ne parle pas de cadeaux , pas d'ajouts à la cohorte de végétaux qui règnent en si peu d'espace finalement mais de l'apport physique, moral de ceux que le jardin a interpellés, qui s'y sont laissés prendre, qui y ont mis leur grain de sel...en le rendant si goûteux.
Je pourrais les remercier conjointement dans un grand élan affectueux, une grande embrassade collective mais cela ne correspondrait pas du tout à la réalité. Certains se connaissent , d'autres non, certains y sont restés quelques heures, d'autres des semaines, ou des années, certains y sont juste passés et d'autres n'y ont même jamais mis les pieds.
Ceux qui forment ce groupe hétéroclite n'ont souvent en commun que très peu de choses mais ce qui les fédère c'est toujours la complicité qu'ils ont établi chacun à leur manière avec ce jardin, de loin ou de près et l'estime que je leur porte, toujours, l'amitié que nous échangeons parfois, jusqu'à l'affection ou même l'amour qui nous relie!
Je vois défiler des visages, je retrouve des images, des mots, des gestes, des bruits, des parfums. Je ne citerai pas tout le monde, certains sont bien trop modestes ou mystérieux tout comme moi mais ils se reconnaîtront!
Par lesquels commencer, les très proches, les simples fournisseurs d'une plante par ci par là...l'ordre chronologique d'intervention me guidera-t-il ? Non, il n'y a pas de préséance, chacun m'est important, le jardin de La Rose Verte ne serait pas ce qu'il est s'il ne manquait même qu'un seul d'entre eux. Par catégorie? Oh, ce n'est pas ainsi que je vois le monde autour de moi...il est des pépiniéristes que je vais citer qui sont aussi mes amis! Ce sont des femmes, des hommes que je respecte infiniment quelle que soit le type de relations que j'établis avec eux et qui est toujours complexe...hors catégorie justement!
Alors comment faire ? peut-être comme le jardin s'est construit.. fortuitement, par association d'idées ? et par qui commencer? peut-être par un de ceux qui farouche n'aimerait pas que je le cite notoirement, parce qu'il n'est pas si simple d'évoluer paisiblement dans le monde de ceux qui font et défont les jardins. Si les jardins apportent très souvent de la sérénité, ce sont des lieux de passion et donc forcément de confrontations et parfois même d'affrontements.
La tramontane souffle très fort aujourd'hui, de longues respirations, brusquement interrompues, des pulsations, des cahots... d'imprévisibles retours, d'inquiétants silences. La Catalogne respire au rythme de ce vent, de celle que l'on hait lorsqu'elle souffle trop longtemps, de celle qu'on espère aux soirs des jours brûlants d'été.
La tramontane m'évoque ce matin un de ceux qui a donné beaucoup d'énergie au jardin. De l'énergie physique d'abord, j'étais perpétuellement essoufflée lorsque nous travaillions ensemble et une autre énergie, plus subtile, moins discernable qui m'a poussée peu à peu et malgré mes réticences à laisser l'exotisme pénétrer au jardin. Cet homme là, rêve de forêts vierges, d'orchidées dans les frondaisons, de feuilles géantes sous la rosée, de passiflores aux couleurs et aux formes envoûtantes, d'hibiscus bien plus hauts que moi mais pas autant que là où il met perpétuellement la barre. Oh, pour lui d'abord, bien sûr, mais pour les autres aussi...et ils ne suivent pas toujours et je lui ai souvent fait défaut...je n'ai pas tant d'ambition, mon désir n'est pas si fort, la très active que je suis, semble paresser perpétuellement près de lui. Mais nous sommes amis, de ceux qui s'étreignent farouchement alors qu'ils ne sont jamais quittés que de quelques mois. Nous nous ressemblons, par notre volonté de créer, de nous dépasser, par notre obstination aussi et par cette ombrageuse nature que je maîtrise bien plus facilement qu'il ne le tente. Beaucoup des végétaux du jardin viennent de ses boutures, de ses dons, de ses cadeaux, de ses coups de coeur : il est si infiniment, si excessivement généreux dans tous les sens du terme. Merci serait bien trop peu dire... le reste, je lui ai dit ou il le sait sans avoir à dire quoi que ce soit. Sans lui, le jardin n'aurait pas ses brusques tentatives d'explosion végétale, ses dérives tropicales, il n'y aurait pas non plus ce rosier rouge feu, bourré d'aiguillons, pourpre jusqu'à son bois, qui fleurit dès tôt le printemps jusqu'à maintenant encore... et qui lui ressemble tant!
En voici deux autres, boutures de son jardin pourtant... et si différents!